Ichiro réprima un sourire moqueur quand Lenn énonça le Prince. Il n’avait jamais eu de respect pour ce soi disant Prince orgueilleux, qui n’avait selon lui que le seul mérite d’être bien né. Ce qui n’était pour lui, pas du tout une qualité. Et Lenn croyait lui faire peur avec le soi disant pouvoir de cet homme ? Cela ne l’effrayait pas. Dans l’esprit du jeune homme, il pourrait toujours s’échapper de n’importe quelle situation. Folie de la jeunesse, dirons nous...mais en même temps, Ichiro disposait de certaines aptitudes pour faire des bêtises et disparaître très rapidement ensuite.

- Ne me sous estimes pas, répliqua-t-il en le fixant droit dans les yeux. Tu ne me connais trop peur pour juger de ce que je pourrai ou non faire.

Ca l’agacait que ce chevalier le prenne de haut de cette manière si. Comme s’il le pensait trop jeune et complètement stupide. Ichiro était loin de l’être, sauf que pour être insupportable, il ne fallait pas montrer ses véritables pensées, parce que ca foutait tout en l’air. Et il avait beau savoir que cet homme en face de lui avait parfaitement raison, il faisait tout pour le contredire.
Le sommet fut atteint lorsqu’il lui confisqua sa bière. L’adolescent émit un sifflement de colère. Trop, c’en était trop. Il attrapa la pièce qu’il lui avait rendu et sans ménagement la lui renvoya à la figure. Quand au verre de citronnade, il vola également dans les airs, à la seconde qui suivit.

- Ne m’infantilise pas ! grogna t-il ses yeux brillants fixés sur Lenn, et puis à quoi ca te sert de m’empêcher de boire maintenant, alors que dès que tu auras le dos tourné, je ferai ce que je voudrai ?! C’est complètement stupide ! Cesse de me traiter en enfant, et rend moi cette foutue bière !

Ichiro guettait sa réaction. Il voulait savoir si le chevalier allait perdre son calme avec lui. Personne n’avait pu rester de bonne humeur avec lui, très longtemps. Le jeune homme jeta un coup d’œil au verre de citronnade sur le sol. Le liquide formait une petite auréole autour. C’était dommage de gâcher cette boisson, mais c’était nécessaire pour que Lenn comprenne à qui il avait à faire. Mais en même temps, une autre chose turlupinait Ichiro depuis un bon moment. C’était au sujet de son père. Cet homme le connaissait et il voulait ne savoir un peu plus. Peut être qu’il avait été au courant de plus d’informations sur sa mort ?

- Au fait, tu connaissais bien mon père ? demanda-t-il en se forgeant une expression impassible pour cacher à quel point ce sujet lui tenait à cœur.

Ichiro était à deux doigts de lui envoyer son couteau à la figure. Mais vu comment il avait récupéré la pièce, il n’allait pas recommencer au risque de perdre son arme. Elle lui était précieuse, elle appartenait à son père. Et puis, il savait qu’en cas d’affrontement, il perdrait à coup sur. Ca ne servait strictement à rien. A part se ridiculiser, et qui en aurait envie ? Et puis, il trouverait toujours la solution de se venger un peu plus tard. Rien ne pressait pour l’instant. Il détestait ses manières et ses paroles d’adulte trop sérieux. Surtout quand il parlait de règles. Il émit un petit rire moqueur.

- Ces règles ne sont pas les miennes. Je n’ai aucune raison de les respecter. Penses ce que tu veux, tu n’es rien pour moi.

Ichiro avait toujours forgé ses propres lois, et elles ne ressemblaient en aucune façon à celles qui étaient en vigueur dans la ville. En gros, elles ressemblaient à la loi de la jungle. Chacun s’en tire du mieux qu’il peut. Tous les coups étaient permis, et la liberté trônait au dessus de tout. La liberté sans limite,ce qui était peut être dangereux d’une certaine manière.
Quand Lenn lui proposa d’essayer de récupérer sa bière, il répondit ironique ;

- « Un homme qui abat son jeu trop vite par impatience est un mauvais tacticien, pas vrai ? »
Il voulait lui faire comprendre, qu’il n’oublierait pas cette histoire de boisson, mais qu’il n’allait pas agir tout de suite. Il attendait le moment opportun
La suite des paroles du chevalier le convainquit qu’il avait bien fait de ne pas se jeter aveuglément dans une bagarre. Car il venait de lui donner des informations précieuses. Le jeune homme fronça les sourcils.

- Et bien il ne me reste plus qu’à trouver cette guilde et leur faire avouer, finit-il il par dire très sérieusement.

Il désirait plus que tout retrouver qui avait causé la mort de sa famille. Une ombre passa sur le visage du garçon. Il se souvenait de ce temps où il était avec des gens qu’il aimait. Quand il était encore heureux. La colère obscurcît tout. Il articula à voix basse, comme pour lui même :

- Je les tuerai.

Il ne savait pas s’il serait plus heureux, une fois sa famille vengée, tout ce qu’il savait c’était que son unique raison de vivre était de comprendre la vérité. Mais tout seul il n’y arriverait pas. Il avait besoin de cet insupportable chevalier.

- Parle moi plus de cette guilde. Sais tu où est son quartier général ? Ou comment en retrouver certains membres ? Je veux les interroger.

Ichiro l’écouta sans broncher énoncer sa longue tirade sur la guilde des tueurs. On disait que les gens qui parlaient beaucoup étaient surs de soi. Apparemment Lenn faisait partie de cette catégorie mais l’adolescent doutait que ce soit uniquement de l’orgueil. Cela devait s’expliquer surtout par son expérience. Par contre,ce qui déplaisait fortement Ichiro, c’était sa manière de présenter l’impossibilité des la mission concernant la guilde. L’adolescent n’était pas du tout d’accord. Si cinquante hommes ne suffisaient pas, cela signifiait non pas qu’il fallait abandonner, mais qu’il fallait voir les choses par un autre angle d’attaque. Ichiro n’était pas du genre à laisser tomber à chaque difficulté. au contraire, il s’obstinait souvent. Quand il voulait quelque chose, il s’acharnait à l’obtenir, quitte à perdre sang et eau pour. Le jeune homme n’aimait pas l’affrontement brutal. Non seulement parce qu’à son niveau, il en était incapable, comme il n’avait jamais été fort, mais aussi parce qu’il avait une certaine vision du combat qui ne collait pas du tout à l’image qu’on pouvait se faire de la chevalerie. Pour lui un combat n’était pas de la violence, mais plutôt une chorégraphie. Il suffisait de voler le centre de son adversaire pour gagner. Tuer importait peu en fait. Mais souvent sous le feu de l’action, le jeune homme ne se rendait pas vraiment compte de ce qu’il faisait. Et il n’avait jamais rencontré quelqu’un qu’il respectait assez pour obéir à chacun de ses ordres et ainsi progresser.

- C’est lamentable d’abandonner après échec, commenta-t-il froidement.

L’idée de travailler en groupe rebuta immédiatement l’adolescent. Il était solitaire, et rien que l’idée de devoir plier la tête devant une seule personne le rebuter, mais alors en plus, s’intégrer avec d’autres personnes....c’était au dessus de ses forces.

- Non , ce ne marche pas. J’ai l’habitude de marcher seul, et je n’ai pas envie de devenir un gros ours en armure non plus. Je ne vois pas l’intérêt.

Il fit un magnifique sourire moqueur,et laissa son regard courir le long de la salle. Il adorait observer les autres et les choses. Ce qu’il avait appris, il le tenait souvent parce qu’il voyait. Apprendre en regardant. Il remarqua un jeune voleur qui d’un geste habile et si fluide qu’il en paraissait presque irréel piquer la bourse d’un des consommateurs. Il souffla, admirateur.

- Impressionnant...vraiment;beaucoup mieux que de devenir un tas de muscles ambulant

Ichiro apprenait souvent par mimétisme, et instinctivement, il esquissa le même geste que celui qu’il avait précautionneusement détaillé. Il en était presque aussi fluide que le voleur, et ses doigts se saisirent du verre de bière que Lenn lui avait confisqué, souplement et rapidement pour l’attirer vers lui. Le problème chez le jeune homme, c’était qu’il recopiait les gestes facilement mais qu’il avait du mal à les garder acquis par la suite, comme il ne se forçait jamais à les répéter encore et encore. Personne n’avait pu l’astreindre à cela.
C’était un geste non anticipé qu’il avait fait. Et il se rendit compte que Lenn pouvait l’avoir mal interprété

- Ca vaut le coup de mourir pour ce que l’on croit, répondit simplement Ichiro en regardant l’intérieur de la choppe vide.

La mort. Cela paraissait si lointain pour lui, mais en même temps, elle planait toujours au dessus de lui avec le souvenir de ses parents. Il regardait de nouveau autour de lui, en pensant que tous les humains ans exception étaient voués à la mort. Pourquoi est ce qu’il s’acharnait à continuer de ivre,de faire leurs gestes de tous les jours, sachant qu’ils allaient tout perdre un jour ou l’autre ?

- Petit poulet rachitique ? releva-t-il ses yeux violets tout d’un coup incandescents, au moins je peux me glisser partout où je veux, alors que toi tu es bien trop gros pour ! C’est beaucoup plus enviable, je trouve.

Il n’appréciait pas qu’on critique son physique. Certes il était mince et délicat, mais il n’aimait pas qu’on considère cela comme un défaut. Après tout, cela ne l’empêchait pas de donner des coups bien placés où il fallait.

- Les femmes....ricana-t-il sans se retenir.

Il n’avait jamais eu aucun désir pour les femmes, et il ne prenait même pas la peine de le cacher. Pire, il ne comprenait pas pourquoi il devait leur plaire ou leur faire plaisir, juste parce que c’était des femmes. Et puis leur bavardage incessant lui tapait sur les nerfs. Comme cette manie de broder sur des tissus. Ou était l’utilité dans tout ça ? Futilité ! C’était de la pure perte de temps que tout ça. La seule fille qu’il avait pu supporter lors de sa courte vie, c’était sa sœur, qui elle aussi avait eu un instinct belliqueux plutôt poussé pour une jeune demoiselle.
Bizarrement, cela ne le choquait pas qu’un homme puisse en être séduit par un autre, puisqu’il avait toujours vécu dans un univers uniquement masculin, et que même s’il était insupportable, il savait quand même reconnaître la valeur d’autrui.

- Et bien, ça m’arrange, répliqua-t-il juste pour énerver son interlocuteur, qu’est ce que vous avez tous à vouloir plaire ! Moins j’attirerai, plus je serai tranquille.

Pour lui la séduction rimait avec amour qui rimait avec...chaîne au cou. Et il n’avait pas la moindre envie de s’enchaîner inutilement.
Il joua un instant avec le bock de bière puis le reposa. Il planta ses yeux dans celui de Lenn .

- Je réfléchis toujours avant d’agir, dit-il doucement avec un sourire malicieux qui ne présageait rien de bon, et pour voir mille chandelles, il faudrait déjà pouvoir me frapper. Et puis, j’apprends vite et je ne compte pas mourir tout de suite non plus, j’ai trop de choses à faire.

Sur ce, il se leva. Il le provoquait ouvertement. Par pure bravache et aussi par curiosité. Parce que si le chevalier se mettait en colère, et se décidait à lui passer une bonne rouste, ce n’en serait qu’une leçon de plus qui lui permettrait d’avancer. Dans le cas contraire, il aurait juste clarifié certains points. Il retourna vers le propriétaire de l’auberge et commanda une nouvelle fois une bière. Sauf que cette fois ci, il projetait bien de la garder et de la boire.

Profiter de la vie. C’était bien quand on pouvait le faire. Mais comment pouvait-il avec son oncle collé à ses basques, alors qu’il devait toujours courir pour échapper aux infatigables réprimandes ?
Une chose qu’avait apprise Ichiro, c’était de ne jamais perdre son calme quand il ne le fallait pas. Il jouait suffisamment au jeu d’énerver les autres pour se contrôler un minimum. Même si Lenn devenait de plus en plus agaçant avec ses sous entendus vexants. Ichiro n’avait toujours trouvé de la grâce que dans les traits de visage d’un homme, et il se fichait pas mal des qualités que pouvait avoir une femme ou pas. Quand à l’insinuation qu’il était puceau, cela lui donnait juste envie de l’égorger sur place. Premièrement parce que ce c’était vrai et deuxièmement parce qu’il sentait que Lenn se pensait supérieur à cause de ce petit détail. Ichiro n’avait pas envie de goûter aux « joies du sexe « comme le disait le chevalier, pour la simple et bonne raison, que pour cela il fallait être deux pour faire les choses « correctement », et que ça impliquait des relations humaines, ce qu’il bannissait automatiquement. Avoir un lien quelconque avec une personne –hormis une relation de haine, qu’il concevait avec plaisir et qu’il tentait à chaque fois de créer à chaque nouvelle rencontre- le rebutait. Mais il n’allait pas expliquer son point de vue à ce chevalier, qui bien sur y aurait trouvé un autre prétexte pour se moquer de lui.

- Crétin, gronda-t-il simplement tandis qu’il s’éloignait.

Il attendait sa bière, se disant que c’était bien quelque chose qui allait lui remonter le moral. Lorsque Lenn s’interposa de nouveau. L’empêchant de faire ce qu’il avait envie. Encore. S’il s’enfuyait régulièrement du manoir c’était bien pour ne plus se retrouver dans une situation de tutelle, mais le chevalier coupait court net à sa liberté par sa seule et simple autorité. L’adolescent tapa du poing sur le comptoir. Cette fois ci il ne tenta même plus de brider sa colère. Puis il fusilla du regard Lenn . Si les regards pouvaient tuer, le chevalier serait déjà raide mort sur le sol de la taverne.
Sa colère retombait également sur le propriétaire qui obéissait gentiment à Lenn.

- Je déteste les gentils chiens dociles ! s’exclama-t-il véritablement furieux.

Et profitant du fait qu’il avait appris à se mouvoir un peu plus souplement, il se saisit d’une choppe au hasard posée sur la table et l’envoya direct à la figure du tavernier. Une autre choppe vola en direction de Lenn, à la fraction de seconde suivante.

- Arrête de me pomper l’air ! Va mourir !

Et il n’attendit pas de voir si elle l’avait touché. Car déjà les consommateurs à qui il avait « emprunté » leur boisson, s’étaient levés prêts à demander des comptes. Alors il glissa vivement le long des tables, sans demander son reste. Il avait l’habitude de se faufiler rapidement n’importe où, alors il n’eut aucun mal à éviter le coup de poing qui allait lui tomber dessus, par un grand escogriffe et se rua vers la sortie. Sa main atteignit la poignée de la porte, il la tira, sautant dehors.

Ichiro en avait plus qu’assez des allusions sexuelles de Lenn. Non pas qu’il le trouvât laid ou repoussant. Non, juste qu’il ne savait pas si tout cela n’était que simple moquerie ou si cela possédait un fond de vérité. En tout cas, il se méfiait maintenant du chevalier comme de la peste, vue que non seulement, il savait qu’il n’avait aucune chance contre lui en affrontement au corps à corps, et en plus parce qu’il avait plus de pouvoir que lui sur les gens en général, et que ça pouvait lui attirer de mauvaises surprises.
Une fois hors de l’auberge, le vent frais lui balaya le visage et lui donna l’impulsion nécessaire pour accélérer sa course. Ichiro aimait courir. Il aimait cette sensation de planer au dessus du sol, comme s’il volait, de voir le décor flou qui défilait devant ses yeux, d’avoir l’impression que rien au monde ne pouvait l’arrêter, qu’il était hors du temps, complètement libre. Sauf que les minutes magiques cessèrent rapidement lorsqu’il se rendit compte qu’on le poursuivait. Les clients avaient la dent dure et ne comptaient pas le laisser s’en tirer comme ca. Le jeune homme jura dans sa barbe- ce n’est qu’une expression, il n’avait pas un poil au menton- et agrandit sa foulée voulant les distancer. Il slaloma entre les passants qui lui barraient le chemin. Lorsqu’il avisa au loin une charrette qui lui barrait le passage. Le cerveau de l’adolescent se mit à tourner à toute vitesse. Il apercut des barriques à coté, et des paniers en bois. Sans vraiment réfléchir à ce qu’il faisait, il prit appui sur les tonneaux de bois pour se lancer. Et il sauta par-dessus la charrette souplement. Sa détente était plutôt bonne, mais il se demandait comment il allait faire pour atterrir. Finalement, il fit un roulé boulé et se retrouva accroupit sur le sol. Il s’était fait un peu mal au dos dans sa chute, mais il n’avait rien de casser. Soulagé, il se releva d’un bond, avant de se heurter face à un char à bœufs. Sa belle prouesse n’avait en conclusion servie à rien. Il fit immédiatement volte face pour se retrouver devant les clients à l’air particulièrement patibulaire. Aussitôt, il se mit en garde, concentré. Il ne savait pas vraiment comment il allait s’en sortir. Tout ce qu’il savait c’est qu’il allait faire de son mieux, pour éviter les coups et trouver un échappatoire à la bagarre.
Sa main se posa sur la garde de son poignard.

- Y en a qui ont des problèmes avec la vie ? bluffa-t-il en les toisant chacun d’un regard si noir qu’on en oubliait sa couleur violette.

Il ne savait pas si Lenn était avec eux. Il s’en fichait. Il s’était toujours débrouillé seul quand il était petit, alors il surmonterait cette épreuve seul, comme il l’avait toujours fait. Plusieurs hommes se ruèrent sur eux, bien décidés à lui faire payer son insolence.

*le mouvement du voleur....*

Ichiro glissa sur le côté vivement, le bras de son agresseur ne fit que le froler, il para avec un coup de genou bien placé dans l’abdomen. Puis, il recula, esquiva de nouveau, et encore et encore, comme s’il esquissait une chorégraphie étrange, destinée à s’éviter de prendre des coups. Mais toutes ces pirouettes et cabrioles l’épuisaient. S’il sortait son poignard maintenant, il ne savait pas s’il allait pouvoir le garder en main très longtemps. Surtout qu’il utilisait énormément d’énergie à essayer de reproduire les gestes du voleur, avec l’intégralité de son corps. Alors, qu’il se laissait distraire quelque secondes, et que son corps se mit à bouger naturellement, reprenant sa gestuelle habituelle, il sentit un coup le cueillit à la tempe. Fort. A moitié groggy, il vacilla, essaya de reprendre sa concentration. Mais échoua.
Un autre coup l’atteignit sous le menton, et il s’effondra par terre.
L’échec porte peut être conseil, mais à ce moment même, la déception la plus pure envahit Ichiro. Un goût amer se répandit dans sa bouche. Il essaya de se relever, mais un coup de pied lui coupa le souffle, et il resta haletant sur les pavés. Sa vision n’était plus très claire. Il savait qu’il allait se faire mettre à tabac par ces hommes. Tout ce qu’il pouvait maintenant tenter de faire c’était de lutter pour ne pas tomber inconscient sous la pluie de coups. La voix de sa sœur décédée lui parvint au fin fond de sa mémoire. « Je suis juste là pour t’éviter de tomber de haut. Parce que toi tu ne t’en relèveras pas, nous sommes pareils ».

Ichiro se demandait quand ils allaient se lasser de le rouer de coup. La douleur émettait de petites étincelles de couleurs sur ses membres endoloris. En ne pensant qu’à cette sensation, il parvenait à ne pas montrer aux autres qu’il avait mal. Peut être qu’il se dépatouillait mal aujourd’hui, mais il ne voulait pas que les autres aient du plaisir à le voir souffrir. Lorsque ses agresseurs se reculèrent, le garçon tenta un regard pour voir s’ils partaient d’eux-mêmes. Mais apparemment non, leur attention avait été attirée par quelqu’un d’autre. Ichiro poussa un grognement lorsqu’il réalisa l’identité de cette personne. Lenn Van Helsing. Il regretta vite son geste, parce que sa côte fêlée lui faisait affreusement mal. Rien que respirer lui était douloureux. Il ne pouvait rien faire d’autre que de rester tranquille par terre, même s’il trouvait cette situation plus qu’humiliante. Les cinq hommes entourèrent le chevalier, et Ichiro ne put s’empêcher de ressentir une pointe d’inquiétude pour lui. Même s’il affectait toujours un comportement dédaigneux et insupportable, au fond, il n’était pas dénué de sentiments. Malgré les points noirs qui obscurcissaient sa vue, il put entrapercevoir certaines parties du déroulement du combat. La culpabilité lui tordit l’estomac lorsqu’il vit le sang jaillir de la plaie que l’épée avait faite à Lenn. Tout ça était de sa faute, il le savait bien. C’était comme ca depuis le début, tous ceux qui l’entouraient finissaient tous par mourir. Que ce soit avant ou maintenant, il n’apportait rien de bon à son entourage. Une peur panique l’envahit lorsque l’image des cadavres de sa famille lui revint. Si pâles et blancs. Inexpressifs. Cette vision hantait encore ses cauchemars.
La voix de Lenn près de lui le sortit de ses réminiscences pénibles. Les autres étaient partis. Il s’en était sorti. Le sang coulait à flot mais il était vivant. Le garçon ne pouvait détacher ses yeux du liquide rouge sombre. Il étouffa un cri de douleur quand le chevalier le souleva, car il avait effleuré sa côte cassée. Puis il se mordit la langue jusqu’au sang pour se distraire de cette douleur aigue. Lenn avait l’air de souffrir. Si à l’intérieur de lui-même il se faisait du souci, automatiquement, sa partie insolente reprit le dessus :

- Je suis pas une fille merde, je peux marcher tout seul.

Il avait l’habitude d’être désagréable. Au fond, il était reconnaissant au chevalier, mais il ne pouvait s’empêcher de sortir des paroles vexantes. Il dut faire un énorme effort pour être sincère et marmonner :

- Si tu continues à me porter, tu vas saigner encore plus. Alors lâche moi, je peux marcher jusqu’à l’hôpital.

Sa voix était sifflante. Il faisait des efforts rien que pour parler. Mais ses jambes étaient optimales, il le sentait. Par contre, il ne savait pas si une fois debout il pourrait tenir correctement sur ses jambes sans vaciller, mais c’était sa manière de montrer sa sollicitude envers Lenn, même si c’était une façon un peu bizarre de le faire.
Lorsqu’ils arrivèrent à l’hôpital, des médecins vinrent aussitôt s’occuper d’eux. Ils connaissaient Ichiro, et depuis la mort de ses parents, ils le voyaient presque tous les mois, pour des blessures plus ou moins bénignes à cause des bagarres qu’il avait causées. Alors qu’un médecin l’entraînait dans un coin, Ichiro eut juste le temps de lancer à Lenn, se disant qu’il allait peut être le regretter, mais au moins ca avait le mérite d'être sincère :

- Je suis désolé.

Ses yeux violets paraissaient plus sombres que la normal. puis il détourna le regard.