Ichiro avait une nouvelle fois déserté le manoir. Rien de bien inhabituel bien sur, mais cette fois ci il avait pris les précautions de ne pas annoncer son départ à tout le monde. Son oncle ne l’aurait pas supporté, et il aurait été encore obligé d’éviter des projectiles volants. Et cet après midi il n’était pas d’humeur. Il envoya balader la servante qui lui apportait un cadeau de sa tante –sans doute une nouvelle tenue, comme il n’arrêtait pas de les abîmer à force de s’entraîner, de se bagarrer avec tout ceux qui l’ennuyaient c'est-à-dire tout le monde- et alla retrouver son cheval, qu’il harnacha. Il aperçut du coin de l’œil son maître d’armes qui lui aussi semblait vouloir faire une petite sortie. Il le salua. C’était la seule personne au monde, à part ses parents et sa sœur décédée qu’il respectait. Quand son professeur enfourcha sa monture, il fit de même, et marqua une pointe de surprise quand celui-ci lui lança négligemment : « Etre partout chez reste quelque chose de difficile. Tu n’es pas d’accord ? Enfin, c’est sur le terrain qu’on apprend le mieux ». Ichiro talonna son destrier, les sourcils froncés. Son maître était le seul à comprendre son caractère impossible et au lieu de lui donner des ordres sans arrêt auquel il n’aurait jamais obéi, il se contentait de remarques sibylline. Qui se révélaient de précieux conseils. L’adolescent prit la direction de la place puis à son habitude, il laissa aller son cheval pour s’engager seul dans les rues. Il avait compris que son maître venait de lui proposer une leçon ; Sauf qu’il ne savait pas encore comment la débuter. Et puis comment être chez soi partout, alors qu’il y avait tellement de monde qui entravait ses mouvements ?
Alors qu’il allait s’attarder devant une boutique, une armoire à glace suivie de sa petite bande fit exprès de le bousculer. L’adolescent à son habitude vit rouge. Il n’allait pas s’abaisser à faire semblant de se soumettre devant cet imbécile qui visiblement se pavanait !

*Etre partout chez reste quelque chose de difficile*

S’il était partout chez lui, autant le montrer haut et clair. Souple et rapide, il se saisit d’une planche abandonnée et la balança sans plus de cérémonie sur le balourd. Il y eut un gros silence. Quatre regards meurtriers se fichèrent sur lui. Il sourit.

- On dit pardon quand on pousse quelqu’un, dit-il sans se démonter.

Alors que l’armoire à glace allait se précipiter sur lui, il bondit sur le coté pour l’éviter et se mit à tailler sa route. Ichiro était peut être insolent, mais il n’était pas stupide. Affronter quatre personnes en même temps, alors qu’une foule compacte se massait déjà dans une rue était du pur suicide. Pas de place pour bouger, et en plus risque de se faire écraser contre un mur. Alors il courut, courut, courut, empruntant des petites ruelles pour les semer. Alors qu’il tournait à un embranchement, il jeta un coup d’œil derrière lui et BOUM, il heurta quelqu’un. Sous le choc, il partit en arrière, mais réussit à rester debout. Aussitôt, ne sachant pas s’il était ami ou ennemi, il se mit en garde et sortit son poignard de son fourreau, prêt à en découdre. Mais ce n’était pas l’un de ses poursuivants. Pourtant, Ichiro ne se détendit pas. Il fixa l’homme méfiant.

- C’est malin ! gronda-t-il , qu’est ce que vous faisiez en plein milieu de la rue ?? A cause de vous, ils vont peut être me rattraper !!!

Ichiro fut piqué au vif lorsqu’il entendit que l’inconnu lui faisait le même reproche que lui-même avait lancé aux quatre autres gars. L’homme avait raison, mais il était bien trop fier pour l’avouer. L’adolescent l’observa de plus près. Il était en train d’examiner le terrain. Aucun doute, il savait ce qu’il faisait. Il était plus expérimenté que lui. Ce fut d’autant plus une claque qu’il reçut. Cet homme pouvait lui apprendre.
La surprise la plus totale l’envahit lorsque l’inconnu parut le reconnaître. Pourtant lui, n’avait aucune idée de qui il pouvait être. Un chevalier peut être, vue ses manières. Mais il y en avait tellement, il aurait été incapable de trouver son nom.

- Comment sais tu cela ? Je suis bien Ichiro Shimazu. Et toi ? Qui es tu ?

Il n’aimait pas trop qu’on parle de son père décédé, mais il ne releva pas. Ce n’était pas le moment. Puisque les quatre brutes arrivaient au pas de course. Il se tendit immédiatement, se préparant à esquiver un coup lorsque le chevalier intervint. Eberlué il vit l’armoire à glace, voler dans les airs. Il était fort. Puissant ; C’en était rageant pour Ichiro qui n’avait aucune force et se basait que sur son agilité uniquement.
Il réfléchit rapidement. Il en restait trois. Il savait qu’il n’arrivera pas à les combattre seuls. Surtout alors qu’il était en train de se remettre en question ainsi. Mais il ne voulait pas non plus prendre la place de la demoiselle en détresse qu’un preux chevalier allait venir défendre. Ce fut pour cela qu’il lâcha rapidement :

- Je prends le secours bienvenue, mais la dette ne sera peut être pas aussi élevée que tu le penses !

Et sur ce, il bondit en avant, vers l’un des trois gars restant. Analysant ses mouvements, il évita souplement les attaques, découvrit les défauts de la garde de son adversaire. Et frappa trois fois. Dans l’abdomen, la jugulaire et le genou. L’homme s’écroula. Et de un. Ichiro recula toujours en posture de combat. Ses yeux cherchèrent son allié qu’il trouvait aux prises avec les autres. Il n’intervint pas, observant soigneusement sa façon de se battre. Il était impressionné, malgré lui. Et il envoya une pièce d’or au marchant de tomates en compensation sans un mot pour lui. Puis il s’avança vers le chevalier. Son visage n’exprimait rien d’autre qu’une méfiance à fleur de peau :

- J’aimerais beaucoup savoir le nom de l’homme à qui je devrais payer une dette. Et d’ailleurs quel service aimerais tu que je te rende ?

Ichiro se figea à cette remarque. Ses yeux se réduisirent à deux fentes. Il détestait qu’on lui donne des leçons, surtout lorsque c’était des purs inconnus. Cela l’horripilait. Il jeta un regard blasé au cadavre sur le sol. Etait ce à quoi ressemblait son père après le soi disant « accident », plus qu’une dépouille sans vie ? Il ne le saurait jamais. Simplement, il ne respectait pas assez l’homme qu’il avait tué pour éprouver une quelconque compassion. Il n’avait pas vraiment voulu le tuer, mais il avait la lame facile, et il n’aimait pas freiner ses coups. Il agissait par pur instinct. Comme un animal sauvage, qui ne se laissait jamais dompter par qui que ce soit. Son corps savait ce qui était bon pour lui après tout. Et puis les avertissements, c’était pas son truc. Si on l’embêtait un tant soit peu, on le payait immédiatement. Comme ça, il ne risquerait pas d’avoir de lien avec les autres. Tout le monde le détesterait, et ce serait d’autant mieux. Personne ne viendrait lui chercher des noises à présent. Mais ce chevalier le rappelait à l’ordre et se permettait des remarques ! Comme s’il avait été un ami. Il avait peut être connu son père, mais il ne s’était jamais frotté à lui, alors il n’avait pas à lui réserver un traitement de faveur. Ichiro n’avait pas d’ami et il n’en voulait pas.

- Je fais ce que je veux quand je veux. Et ce n’est pas toi, Lenn Van Helsing, qui va me dire le contraire, compris ?

Tout cela très sèchement. Il le toisa froidement. Il gardait à l’esprit qu’il lui devait une dette. Ce qui l’embêtait, c’était d’être tenu ignorant de la nature de cette dette. Il n’aimait pas que ça traîne. Ca lui donnait l’impression qu’on l’amputait de sa liberté. Il balaya une mèche qui lui passait sur l’œil.

- Si ca t’amuse d’attendre, moi je ne supporte pas ça. Tu as intérêt à me le demander clairement ce service et dans moins d’une semaine, sinon je considérerai notre contrat comme nul.

Puis il s’avança vers une taverne. Tout cela lui avait donné soif en effet. Mais ce n’était pas l’émotion, car Ichiro avait l’habitude des rixes. C’était plutôt la course effrénée.

- Je suis assez grand pour me payer un verre tout seul.

Et il poussa la porte. Son regard améthyste brillait. Un signe clair pour tous les clients du bar : on ne m’approche pas. Il se commanda une bière et attendit. Lenn pouvait bien venir le rejoindre ou pas, il s’en fichait. Tant qu’il restait à portée de vue pour qu’il puisse l’observer, c’était tout ce qui comptait.